Pendant des années, nous avons imaginé l’achat comme un funnel marketing (entonnoir) lisse : on attire beaucoup de monde en haut, on qualifie au milieu, on convertit en bas. Cette représentation a eu une grande utilité pédagogique, mais elle n’explique plus fidèlement la réalité des parcours.
Les décisions d’achat sont désormais non linéaires, les personnes naviguent entre exploration et évaluation, ajoutent et retirent des marques, et l’expérience après l’achat rétro‑alimente la considération future. C’est l’apport du Consumer Decision Journey et du Messy Middle, qui décrivent un parcours fait d’allers‑retours, d’angles morts et de boucles.
Comprendre le nouveau funnel marketing
Conséquence directe de ce nouveau parcours : optimiser un funnel marketing ne consiste pas seulement à « colmater les fuites ». Il faut désormais architecturer des chemins multiples pour différents niveaux de maturité, et surtout créer des boucles qui transforment chaque interaction en moteur de la suivante : contenus utiles qui attirent des prospects, communautés qui recommandent, expériences post‑achat qui nourrissent la preuve sociale. Les entreprises qui progressent le plus vite ne pensent plus seulement « entonnoir », elles conçoivent des growth loops.
Ce que cela change pour vous :
- Accepter que le trafic ne suit pas une séquence idéale.
- Concevoir des points d’entrée multiples et des raccourcis pour les prospects déjà avancés.
- Instituer des boucles : newsletter → article → outil → partage → SEO ; essai produit → succès client → étude de cas → presse → requêtes de marque.
Concevoir un funnel marketing adaptatif
Un funnel adaptatif part des niveaux de maturité : inconscience du problème, prise de conscience, cadrage de la solution, évaluation des options, décision, on‑boarding, fidélisation et advocacy. À chaque stade, on aligne promesse, preuve et prochaine action.
Matrice simple à appliquer :
- Problèmes/Jobs à faire par segment
- Messages qui réduisent l’incertitude
- Preuves : études de cas, démonstrations, avis clients
- Offres : checklist, simulateur, webinar, essai, atelier
- CTA : s’abonner, comparer, réserver une démo, parler à un expert
L’ossature AARRR reste utile pour se repérer : acquisition, activation, rétention, recommandation, revenus. Utilisez‑la comme check‑list d’optimisation, sans en faire une fin en soi ; l’enjeu est d’orchestrer des boucles qui renforcent chaque étape.
Articulation avec l’ABM : en B2B, un funnel marketing adaptatif s’intègre naturellement à une démarche Account‑Based Marketing : prioriser des comptes, cartographier les parties prenantes, créer des séquences de contenus et d’événements calibrés, synchroniser marketing et sales sur des SLA et des objectifs de pipeline. Votre page ABM peut servir de landing pour détailler ces séquences.
Exemples d’actifs efficaces par étape :
- Découverte : études sectorielles locales, simulateur d’économies, guide « erreurs à éviter »
- Évaluation : comparatif indépendant, atelier live avec Q&A, essai guidé
- Décision : étude de cas proche du secteur, business case chiffré, offre d’implémentation pilotée
- Post‑achat : onboarding en paliers, communauté d’utilisateurs, programme ambassadeurs
Mesurer ce qu’on ne voit pas : le dark funnel et l’incrémentalité
Une part croissante de l’influence qui mène à l’achat se joue hors de votre analytics : recommandations dans des Slack privés, partages WhatsApp, podcasts, événements, visionnage d’une démo sans clic… Ce dark funnel se manifeste souvent par des hausses du trafic direct et des requêtes de marque sans source apparente. Plutôt que de l’ignorer, institutionnalisez sa mesure directionnelle.
Protocole pragmatique :
- Question “Comment nous avez‑vous connus ?” sur formulaires, chat et onboarding. Agrégez les réponses ouvertes par bigrams/trigrams.
- Corrélez tendances : pics de mentions sociales/podcasts ↔ requêtes de marque ↔ trafic direct.
- Tracez vos “moments forts” : conférences, relations presse, campagnes mass‑media → surveillez l’élévation du « bruit de fond ».
- Tests d’incrémentalité : quand l’attribution est impossible ou suspecte, utilisez des Conversion Lift (Google/Meta) pour mesurer l’effet causal. Pour des arbitrages budgétaires globaux, installez un Marketing Mix Modeling privacy‑safe.
Lecture et décisions :
- Lift positif et significatif : renforcez le canal ou la créa testée.
- Lift non significatif : réallouez, testez la création, cible, fréquence.
- MMM : mettez à jour trimestriellement ; il éclaire le rendement décroissant par canal et l’effet retard des investissements de marque.
Privacy‑first sans perdre la performance
En France, la CNIL encadre strictement l’usage des traceurs : le refus doit être aussi simple que l’acceptation, les « cookie walls » sont encadrés, et les choix doivent être respectés. Consent Mode v2 de Google devient incontournable pour conserver mesure et ciblage dans l’EEE. GA4 modélise le comportement et les conversions lorsque le consentement n’est pas accordé. Côté Meta, Aggregated Event Measurement compense partiellement la perte de signal liée à iOS 14.5/ATT. Tout cela change la manière de concevoir votre funnel marketing.
Impacts concrets sur le funnel marketing :
- Top & mid‑funnel : attendez‑vous à moins de clics traçables ; favorisez formats à forte valeur de preuve (études, outils), UTM rigoureux, et suivez la progression des requêtes de marque comme KPI de disponibilité mentale.
- Remarketing / retargeting : taille d’audience réduite ; privilégiez la création de demande et les audiences contextuelles en complément.
- Attribution : allongez l’horizon d’évaluation, augmentez la part des tests contrôlés et mettez en place un cadre d’agrégation (dashboards qui combinent GA4, plateformes et signaux propriétaires).
Checklist conformité‑performance :
- CMP conforme CNIL, refus = acceptation en facilité, Consent Mode v2 paramétré, GA4 relié, server‑side tagging si pertinent.
- Meta AEM : priorisez vos événements, alignez nommage et mappage CRM.
- Gouvernance de la donnée : dictionnaire d’événements, revue mensuelle des tags, process de QA.
Piloter la croissance avec le 95‑5
La plupart de vos futurs clients ne sont pas sur le marché aujourd’hui. Investir uniquement dans la capture de la demande visible (lead gen immédiate) sous‑optimise la croissance. Le B2B Institute popularise la règle 95‑5 : seuls 5% de vos acheteurs sont sur un marché et 95 % des acheteurs potentiels sont « hors marché » actuellement mais entreront en marché plus tard ; il faut donc construire la disponibilité mentale pour gagner quand ils y seront.
Traduction opérationnelle : un plan qui combine création et capture de la demande, des horizons de mesure adaptés et des KPI cohérents par étage du funnel marketing.
Orchestration pratique :
- Création de demande : contenus mémorisables, formats d’autorité (études, keynotes), PR, événements, influence B2B, sponsoring de newsletters sectorielles.
- Capture : SEO intent‑driven, SEA requêtes de marque/solution, comparatifs, pages “jobs to be done”, démonstrations.
- KPI : haut de funnel → part de requêtes de marque, reach utile, mémorisation publicitaire ; mid → taux d’engagement qualifié, progression de maturité ; bas → taux de clôture, vélocité pipeline, LTV/CAC.
Méthode de construction du funnel marketing en six blocs
Cartographier la demande et les entrées | Recensez les points d’entrée réels : requêtes informationnelles, direct, social non traçable, recommandations, événements. Étiquetez‑les « créer » vs « capturer ». Adossez un diagnostic de maturité et listez les objections critiques par segment. |
Définir les messages qui changent d’étape | À chaque palier, formulez le message qui réduit l’incertitude : ce que l’acheteur doit croire pour passer à l’étape suivante, et la preuve associée (démonstration, étude, calculateur, témoignage vidéo). Alignez les CTA sur la prochaine action réaliste. |
Désigner les boucles | Pour chaque actif, concevez la boucle de ré‑exposition : newsletter → outil → recirculation d’articles ; communauté → UGC → SEO ; programme ambassadeurs. Votre contenu n’est pas une ligne droite, c’est un système. |
Instrumenter sans sur‑promettre | Balisez les événements clés dans GA4 (event‑based), activez Consent Mode v2, cadrez des UTM lisibles, et planifiez vos tests d’incrémentalité trimestriels. Utilisez la modélisation GA4 pour estimer l’activité des non‑consentants, en assumant ses limites. |
Rythmer la preuve | L’alternance « autorité / utilité » : une étude originale, puis un outil pratique ; une étude de cas, puis un webinar Q&A. Chaque format doit nourrir au moins une boucle (SEO, social, email, referral). |
Arbitrer avec la règle 95‑5 | Bloquez un socle de création de demande incompressible, même en période de tension sur le pipe. Mesurez‑le par indicateurs avancés : part de requêtes de marque, mentions, part de voix organique, élévation des taux de conversion payants à W+6/W+12. |
Templates opérationnels pour un funnel marketing performant
Grille messages × preuves × offres (exemple B2B)
- Douleur prioritaire : coût caché / inefficiences / risque
- Message : « vous sous‑investissez au mauvais endroit »
- Preuve : benchmark sectoriel local + simulateur
- Offre : atelier diagnostic 45 min
- CTA : réserver un créneau
- Boucle : envoi du compte‑rendu → partage interne → relance ciblée
Score de maturité simple
- Signal faible : lecture d’un article + abonnement
- Signal moyen : téléchargement d’un calculateur ou check‑list
- Signal fort : demande de démo / prise de rendez‑vous
- Action : routing vers séquences email adaptées, objectif d’Activation avant passage en Opportunity, pas de passage prématuré en SQL.
Cadre de mesure mixte
- Attribution plateforme : exploitable mais biaisée post‑ATT.
- GA4 : vue agrégée, modélisation, parcours multi‑device, sous réserve du consentement.
- Incrementality tests : vérité terrain pour statuer sur un canal/une créa.
- MMM : arbitrage stratégique et effet long terme. Combinez les quatre, plutôt que d’en opposer deux.
Erreurs fréquentes à éviter
- Pousser la démo trop tôt : vous brûlez du capital d’attention sur des audiences « hors marché ». Travaillez la mémoire de marque et la preuve avant l’appel à l’action fort.
- Optimiser à vue courte : évaluer des campagnes de création de demande à J+7 mène à de mauvaises coupes budgétaires. Étendez l’horizon et surveillez des KPI avancés.
- Confondre retargeting et nurturing : le retargeting se contracte avec la privacy ; bâtissez un nurturing de valeur (email, communauté, contenu utilitaire).
- Ignorer le dark funnel : institutionnalisez la question « How did you hear about us? », et corrélez‑la avec les tendances de marque.

Comprendre le nouveau funnel marketing
Un guide stratégique, actionnable et à jour pour bâtir un funnel marketing performant dans un environnement où les parcours d’achat sont non linéaires et la mesure contrainte par la privacy. Avec angles éditoriaux, cadres d’analyse et check‑lists concrètes.
- Comprendre le nouveau funnel : Pourquoi le parcours n’est plus linéaire ; Messy Middle ; CDJ ; conséquence pour la stratégie.
- Concevoir un funnel adaptatif : Cartographier les niveaux de maturité et les contenus/CTA par étape ; articulation avec ABM.
- Mesurer l’invisible : Dark funnel : signaux, enquêtes, corrélations ; quand passer à l’incrémentalité et au MMM.
- Privacy‑first, sans perdre la performance : CNIL, Consent Mode v2, GA4 modélisé, iOS 14.5/ATT, Meta AEM ; impacts concrets.
- Piloter la croissance avec le 95‑5 : Arbitrer création de demande vs capture ; allocation budgétaire et KPI réalistes.
Le funnel marketing est‑il “mort” ?
Non : il reste un excellent cadre de lisibilité, mais il doit s’ouvrir à des parcours non linéaires et s’intégrer à des boucles qui auto‑alimentent la croissance.
Comment mesurer le funnel marketing quand les cookies disparaissent ?
Vous combinez consentement clair (CNIL), Consent Mode v2, modélisations GA4, et tests d’incrémentalité pour décider. Le MMM sert d’outil d’arbitrage macro.
Pourquoi investir au‑delà des leads capturés cette semaine ?
Parce que la majorité de vos futurs acheteurs n’est pas en marché aujourd’hui ; gagner demain demande d’investir dans la mémoire de marque maintenant.